Un ensemble de cinq jolies questions que Joumana m'a "envoyées"... Je me suis fait une joie d'y répondre! Je dois dire que j'adore les questionnaires comme cela, où les questions sont suffisamment censée pour donner une réponse construite et pensée, et suffisamment ludiques pour ne pas les transformer en "creusage de tête avec perforeuse diamètre 500".
Une petite citation : "On écrit parce que la vie passe en soi".
Gilles Deleuzes (philsophe mort il y a quelques années, au langage... je n'ai pas d'adjectif à y accoler, j'aime, c'est tout)
1) Combien lisez-vous de livres par an ?
Hum… Selon les années, je peux répondre de façon très différente. Jusqu’à mes douze ans, je dévorais plus que je ne lisais. J’étais insatiable. Un véritable estomac à livres (hm, parfois pas très digeste, mais bon, on fait comme on peu pour rassasier sa soif de lire).
Ensuite, mon rythme s’est peu à peu ralenti au fil des ans, à mon regret.
Disons que je lis par périodes. Il arrive que durant trois mois, j’aie lu trois livres. Le plus souvent, courts. A ma terrible honte. Parce que tout simplement, je n’ai pas le temps. Entre le conservatoire (deux instruments à travailler, musique à écouter, partitions à lire et analyser, devoirs à rendre, concerts auxquels il faut participer…), le lycée (actuellement, la fac), les lectures d’ouvrages spécialisés diverses... (et de magazines débiles), je ne parviens à m’accorder un laps de temps pour lire vraiment, intensément. Pourtant, je sais que j’en ai tout à fait les moyens. Il me suffit de le vouloir vraiment. Mais que voulez-vous, parfois, je n’arrive pas à trouver la volonté nécessaire. Non pas que je n’aime pas cela, bien au contraire ; c’est juste que… parfois, on voudrait, mais en fait, le veut-on vraiment ?
Et parfois, au contraire, j’achète des milliards de livres que j’engouffre aussitôt, je dévore, à la chaîne, incapable de calmer mon envie terrible de lire tout ce qui me tombe d’alléchant sous
Donc, donc, donc, pour répondre à cette question… Je crois qu’il faut plutôt parler par semestres (voir par saisons ?)(hm, saisons, ça fait un peu feuilleton débile). Je peux aussi bien lire cinq livres, que trente, en un semestre.
L’idée de calcul m’effraie soudain ; je risque de culpabiliser en me disant que j’ai acheté une quantité phénoménale de livres, et n’en ai pas lu la moitié… Je suis comme ça, une hédoniste de l’achat, lorsqu’il s’agit de lecture.
2. Quel est le dernier livre que vous ayez acheté ?
Tout comme Joumana, (que je remercie de l’honneur qu’elle me fait de me « passer le relai » ! J) je les achète par piles. Lorsqu’il s’agit de choisir dans les rayons, en flânant dans ces temples du livre que sont les librairies, les Gilbert Joseph (mon lieu favori pour les livres), les Fnac, j’y passe des heures (et des dizaines d’euros…). J’aime errer au gré des titres qui m’accrochent, des couvertures qui m’interpellent. J’aime ouvrir un libre au hasard, et me laisser emporter par une phrase prise sur le vif, j’aime plonger mon visage dans le creux d’un de ces chers ouvrages pour respirer l’odeur du papier que j’affectionne tant. J’aime me laisser guider par mes envies et inspirations du moment…
Mais trêve de bavardage ! Je réponds à la question qui m’est posée.
Ma dernière pile…
Kazuo Ishiguro : L’inconsolé Un livre très étrange, où tout paraît normal, justifié, mais où tout est presque surréel, absurde. Un livre dans lequel le héros rencontre une femme et son fils, qui deviennent au fil des pages son épouse et son propre fils, après avoir été successivement voisins de rue, puis voisins de chambre d’hôtel. Un livre dans lequel rien n’est dit, mais tout est suggéré. C’est sans doute cela que j’ai aimé, c’est que rien n’est expliqué, rien ne vient abattre le cours absurde et irrémédiable des actions. Le temps s’étire et les lieux aussi, pour s’accélérer soudain. Les personnages sont pathétiques, inattendus, cruels ou bons, mais tous ont une part d’étrangeté en eux.
En le relisant, je me suis dit qu’avec un peu d’imagination, tout ceci pourrait très bien nous arriver. Si la part de folie interne refoulée par l’humain refaisait surface soudainement. Si nos destins n’étaient que lacérés au cutter.
George Steiner : Errata. Une reflexion sur l’après-guerre, sur le monde, la perception, le judaïsme. Je ne l’ai pas encore fini. Parfois fastidieux, parfois passionnant, je fais mon petit bout de chemin…
Shan Sa : Porte de la Paix céleste. Toujours ce style magnifique. Je l’ai acheté suite à la lecture de la Joueuse de Go, publié après Porte de la Paix céleste. Ce sens des images…
Jean-Paul Sartre : les Séquestrés d’Altona. Parce que c’est Sartre. Et que j’aime son théâtre.
Eliette Abecassis : Clandestin. J’avais lu d’elle l’Or et la Cendre, que j’avais moyennement apprécié. Celui-ci est très beau ; elle parvient à raconter un laps de temps d’une heure en 130 pages. Une belle et triste histoire d’amour. Parfois à la limite du cliché, mais c’est peut-être le propre de l’amour. Aussi, une leçon de vie, un carpe diem soufflé à l’oreille.
3. Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Auguste Rodin, un essai de Rainer Maria Rilke, qui fût son contemporain et le fréquenta assidûment.
Je l’ai lu d’une traite ; sans m’arrêter. Le style de Rilke est un des plus clairs, les plus riches que j’aie lu. Ce témoignage sur Rodin est superbe, juste, concis, fouillé, réfléchi. C’est sans doute un des plus beaux d’un écrivain à un maître, à un travail, à une œuvre, une pensée, un instinct.
4. Listez
Voyage au bout de la nuit de Céline. Une révélation en matière d’écriture. Sous le langage parfois quasi-argotique, cahoteux, peu abordable, se cachent de perles. Comme rester insensible à ceci :
« En sortant des ténèbres délirantes de mon hôtel je tentais encore quelques excursions parmi les hautes rues d’alentour, carnaval insipide de maisons en vertige. »
Et puis : « Ce qui est pire c’est qu’on se demande comment le lendemain on trouvera assez de force pour continuer à faire ce qu’on a fait la veille et déjà tellement trop longtemps, où on trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces mille projets qui n’aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l’accablante nécessité, tentatives qui toujours avortent, et toutes pour aller se convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu’il faut remonter au bas la muraille, chaque soir, sous l’angoisse de ce lendemain, toujours plus précaire, plus sordide. (…) On n’a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie, voilà. (…) Et où aller dehors, je vous le demande, lorsqu’on a plus en soi la somme suffisante de délire ? »
Céline, c’est la révélation soudaine, brutale, brillante, de ma jeunesse.
La nausée de Sartre. Je précise d’emblée que ce n’est pas à cause du centenaire de sa naissance que j’en parle. Il est le premier auteur duquel j’ai dit : « Oui, c’est un auteur que j’aime profondément. » Parce que j’ai lu beaucoup de ses ouvrages, parce que je l’ai parcouru passionnément, (de sa philosophie –la Critique de
Sartre, c’est la révélation progressive. Peu à peu, brique par brique, livre après livre, il s’est instauré en moi, pour ne plus jamais en partir. Sartre, c’est un peu une partie de moi-même.
La confusion des sentiments de Zweig. L’écriture de Zweig est magnifique. J’ai toujours le même plaisir à lire ses petits romans, très courts, ses petites nouvelles. En une centaine de pages, passe une telle émotion, une fois de plus, avec un tel sens de la précision… « De petits livres concis, parfaits », comme il disait lui-même aspirer à en écrire.
La confusion… n’est qu’un titre parmi d’autres. J’aurais pu choisir Amok, Le fou de Malaisie, le Joueur d’Echecs (le premier, que j’ai lu en troisième), Lettre d’une Inconnue (superbe, poignant ; si l’on pouvait un jour m’envoyer une telle lettre… Sans la mort à la clef de l’expéditeur, bien entendu), Vingt-quatre heures de la vie d’une femme… Ou encore son grand roman sur les XIXe et XXe siècles, Le monde d’hier. Un simple titre qui veut tout dire.
Mme Bovary de Flaubert. Curieusement, alors que ce roman m’a passionnée, je n’ai absolument accroché avec L’éducation sentimentale, que j’ai trouvé fastidieux et assez… ennuyeux, je dois dire.
Je me rappelle de la lecture de Mme Bovary : allongée sur mon lit, je ne pouvais plus décrocher des pages jaunies. J’avais trouvé le vieux volume dans la bibliothèque de ma mère, dans une vieille édition de papier épais, grossier et vieilli, jaune fané, d’une impressionnante épaisseur, et aux caractères écrits assez gros. Bref, un véritable plaisir tactile.
Je ne saurais pas dire pourquoi j’ai aimé. La simplicité, l’évidence.
Toujours est-il que j’ai aimé le style, l’histoire, même si les destins tragi-comiques de ces protagonistes m’a quelque peu agacée.
Il faudrait que je le relise, comme Voyage au bout de la nuit ; cela fait bien deux ans que je n’ai pas ouvert ces deux ouvrages, il serait intéressant d’y jeter à nouveau un coup d’œil, histoire de voir si l’opinion que j’en ai gardée et toujours intacte.
La joueuse de Go de Shan Sa. Un style terriblement beau. Simple, épuré. Tout en images. Toutefois, ce n’est pas uniquement contemplatif et descriptif. Non, disons que c’est… des images en mouvement. Des scènes qui s’animent. Des ombres chinoises qui prennent soudain tout leur relief. Comment décrire cela ?...
La découverte de cette jeune écrivain (je n’aime pas le féminin de ces mots ; écrivaine et auteur m’écorchent les oreilles et la vue !) a été comme une lumière soudaine dans les milliers de pages qui sont passées sous mes yeux. Comme si était enfin arrivé le style que j’attendais. Cette simplicité, cette évidence, où tout coule de source, tout en étant raffiné et subtil. Oui, c’est ça, c’est l’alliance de la simplicité et de l’évidence. Porte de
Il y en aurait tant d’autres… (je vais un peu tricher, comme Joum'!)
Nadja de Breton, un des quatre livres au programme de ma Terminale, et qui a transcrit en mots mon côté fou, fantasque et rêveur. Le livre qui a montré que tous les Ailleurs sont possibles, parce que Breton prône le « pris sur le vif », qui rend tout plus vivant, comme le « clavier affectif », parce que j’aime cette impérieuse sommation : « la beauté sera convulsive ou ne sera pas ». Il y aurait aussi Jane Eyre de Charlotte Brontë, qui fut mon premier roman d’amour, et qui me tord le cœur à chaque fois que je le relis ; En attendant Godot de Beckett, Antigone d’Anouilh, et tout le théâtre de Ionesco, mes trois autours de l’absurdes, mes favoris, mon « trio gagnant », comme on dit bêtement. Phèdre de Racine, parce qu’elle est chargée de souvenirs, d’affect, parce que je l’ai lue et relue en pensant à L., parce que la langue de Racine est superbe, éternelle, noble, et allant toujours de l’avant, ce sens de la formule, ce langage si riche… Il y a aurait L’Ecume des jours. Pas besoin d’expliquer pourquoi, Joumana l’a déjà très bien fait.
Les chants de Maldoror de Lautréamont. La découverte d’une écriture brutale, d’une crauté sans égale, passionnée et brouillonne, bouillonnante aussi, vomissant des mots qui écrasent, et énivrent à
Les Derniers poèmes d’Amour d’Eluard, Baudelaire, Mallarmé et Rimbaud, Les Contemplations d’Hugo, et oh oui, j’allais oublier, Pélléas et Mélisande de Maeterlink… La pièce que j’ai attendue toute ma vie, et qui enfin a mis toutes les émotions que je gardais en moi sur papier, qui les a transcrites, qui m’a bouleversée… Je la lisais, le regard de mon prof de lettres posé sur moi, c’est un grand souvenir de ma Première.
Oh, et Camus, Camus, Camus, que j’allais oublier… La peste, l’Etranger, durs, taillés dans du roc, cruels et terriblement beaux. Une écriture d’atmosphère
Eh ben voilà, c’est malin, ça fait bien plus que cinq. Enfin, si, il y a les cinq, plus d’autres, à côté…
5. A qui allez-vous passez le relais (3 blogs) et pourquoi ?
Cocktail
Emberlificoteuse
Etolane
Je ne sais pas pourquoi, j’ai eu envie de mettre ces trois-là. Parce que j’aime bien leur style, parce qu’elles m’ont semblé lectrices, parce que j’avais envie de savoir quels sont « leurs » livres. J’aurais pu le demande à d’autres, mais voilà, j’ai choisi. Pas simple, mais comme on dit, « it’s done ! ».
Inspirations soudaines :
Re:
Je suis entitèrement d'accord, 5 livres, c'est trop peu! J'aime bien lorsque ce genre de questionnaire circule, ça appelle à la lecture de façon très enthousiasmante!
Bizz à toi! ;))
Oh... :)
Oh, tu me donnes pleins d'envies!Particulièrement pour 'Pélléas et Mélissande' ...
Ah... Shan Sa *_* Je suis contente d'avoir ton avis sur 'Impératrice' ça m'évitera d'être déçue.
J'ai aussi beaucoup aimé 'Clandestin' même si, comme tu dis, parfois à la limite du cliché. Les mots sont... je sais pas, j'aimais le style tout en étant dérangé par un je-ne-sais-quoi dans ce livre.
Enfin bref, je vais aller répondre à tout ça :).
Hey! ;)
Ravie que ce questionnaire suscite en toi un tel enthousiasme, et qu'il t'ai suggéré quelques lectures! (si je réussi à faire partager mes goûts, où du moins à recueillir d'autres avis sur les livres que j'ai lu, c'est drôlement chouette!)
Oui, de même, pour CLandestin, quelque chose m'avait un peu dérangée ; comme une artificialité, un je ne sais quoi, qui, paradoxalement, aurait surgi d'un... trop-plein de franchise. Je ne sais pas, difficile à décrire.
J'ai hâte de voir tes réponses! :)
joumana
:-))
Elles est fustrante hein la question "listez 5 livres..."...?
Oui à Mme Bovary, Jane Eyre, Phèdre, oui à Lautréamont, Zweig, Sartre, Camus...
Ah la la, et combien encore il nous en reste à lire...:-))
Bisous la miss, et merci pour les réponses détaillées, pleines, enthousiastes!