Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
Soutenez le Secours populaire
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

De l'autre part plein les poches

Arrivée depuis peu. Deux, trois heures. Le temps de tout ranger, de s'attarder un peu sur quelques menus objets, de rêver en pensant aux dizaines de photos, de repenser aux paysages.

Je me plante devant mon miroir et regarde mon reflet. Le visage qui me sourit tout grand n'est plus le "visage pâle" d'il y a une semaine, un peu fatigué, ayant grand besoin de repos, d'air et de soleil. C'est une figure un peu dorée, le nez un peu plus coloré pour cause de léger coup de soleil, les épaules de même, avec les marques du maillot de bain, pas évidentes au premier coup d'oeil, mais suffisamment visibles lorsque je suis en tête-à-tête avec moi-même, pour faire ma petite fierté. Les cheveux plus blonds, plus fournis, encore salés par mon bain de ce matin dans la mer.
Le dernier plongeon, pour ne pas oublier.

Ne pas oublier la mer tout les matins vues depuis mon balcon, avec l'horizon tout là-bas, tout au fond, et quelques îles qui se découpent au second plan. Les montagnes juste à côté, encore tout embrumées de leur sommeil nocturne. Le port à quelques centaines de mètre, avec de minuscules barques aux couleurs pures et vives, comme tout autant de coquilles de noix posées sur une mer d'huile. Si jolies qu'on les croirait sorties d'un album pour rêver.

Ne pas oublier les champs d'oliviers. Cet arbre est sans doute devenu -et ce, je le savais en moi, depuis longtemps- un des arbres que je préfère. J'aime la torsade de son tronc, les multiples ramifications de ses branches aux feuilles cuivrées, les strilles de son écorce.
Je me rappelle ce déjeuner dans ce champ, le seul jour où il avait quelques nuages. La douce chaleur, et les rayons qui percent à travers le feuillage des arbres centenaires. En guise de repas, des tomates, des olives, de la féta, des fèves, et du pain. Déjeuner tout simple, mais qui fait tant de bien... lorsqu'en levant la tête, l'on aperçoit le ciel si incroyablement bleu, presque éblouissant tant il semble être près de mes pupilles, et les branches en fleur des oliviers.


J'ai aimé errer dans les grands couloirs de l'immense hôtel. Ma propre chambre. Révolue, la période où je dormais dans la chambre de mes parents. Et ce, pas par une réclamation de ma part.
Le soir, après le dîner, je suis parfois sortie de ce havre de paix, envahi de mon bazar permanent. Je me suis aventurée dans les lieux aux dimensions gigantesques, seulement vétue de mon pantalon en toile blanche et d'un débardeur usé, comme une seconde peau.

Je suis montée au dernier étage, vers la piscine. Je me suis accoudée à la rambarde donnant sur la rue, et me suis penchée pour sentir le vent sur ma peau. Ivresse sauvage de la nuit, les lumières de la ville qui luisent au loin, et moi suspendue tout en haut, perchée au-dessus du vide, sur mon coin de terrasse.
Le bruit de la mer monte jusqu'à moi, il me suffirait de sauter quelques mètres en avant pour tomber dans l'écume, j'ai la sensation que la vie me traverse. Un des ces instants qui a une saveur d'infinie puissance, un quelque chose qui bouleverse, parce qu'alors, on se sent plus que jamais exister, on a conscience d'être, vraiment.

Assise sur le bord de la piscine, les étoiles au-dessus de ma tête, je laisse le manteau de la nuit recouvrir mes épaules, et mes pieds glisser dans l'eau. L'air qui circule en moi, tout semble si simple. Et ce petit goût de mélancolie douce, mêlé à l'exaltation de vivre, vivre. Oui, j'ai alors la sensation d'être un corps qui vit, un être qui sent, un esprit qui pense, un quelque chose, un tout qui est empli de mille fibrilles d'émotions et de sensations. C'est parfois dans ces instants-là que j'ai l'impression de vivre le plus. Ou pas forcément le plus ; c'est là que j'ai le plus conscience de vivre. Je sais. Je sens.


Et je croise le regard de ce jeune homme que je rencontre parfois sur mon chemin, lors de mes divers trajets à travers l'hôtel. Homme du Nord, grand, les yeux bleus. Pas de cliché, je ne veux pas. Ses yeux qui se posent sur moi, un instant, parfois plus.
J'aime prendre seule mon petit déjeuner ; mes parents dorment encore, je savoure ces instants de solitude au petit matin. Lui à une autre table, me faisant face, entouré de trois amis. Ses yeux contre les miens. Je n'arrive pas à soutenir longtemps son regard. Lorsque je me lève, je sens ses prunelles qui transpercent ma nuque.

Ces fugitives rencontres qui ponctuent mon séjour et ces lieux. Ombre qui passe dans les couloirs sans fin, lumière dans la pénombre qui tombe sur lui, pan de noir ramassé sur son visage, au soleil. Paradoxe mouvant, dont le moiré m'attire.


Un jour, samedi. Samedi soir. Une fois de plus, une de mes errances nocturnes. Je prends l'ascenseur depuis le rez de chaussée, pour monter je ne sais où, vers des sphères plus élevées, quelque part entre ici et le ciel.

Au moment où les portes vont se refermer, quelqu'un s'engouffre à mes côtés. Je me recule un peu, appuie sur le bouton d'un étage, au hasard. La personne se retourne ; elle me fait face à présent.
C'est lui. Nul autre que lui. Et moi. Dans cet ascenseur.
Un court instant, je pense à Calogero, dont j'ai quelques fois entendu la chanson.

Il me regarde. Je le regarde. Lentement, les chiffres montent sur le cadran, 1, 2, 3... C'est comme si quelqu'un avait tiré soudain en arrière sur la trotteuse ; le temps ralentit, ralentit. Quelque chose relie nos yeux, je ne parviens pas à m'en détacher. Je ne parviens pas.

Jamais, je crois, un voyage en ascenseur -car oui, pour moi, ce fut un voyage-, n'a atteint autant d'érotisme contenu, de retenue désirable, de suggéré à demi-gestes.
Nous nous regardons, et je sens nos corps à quelques centimètres l'un de l'autre, sa poitrine presque contre la mienne. Comme un fer chauffé à blanc entre nos peaux.

Une sorte de balancement entre nous, j'entends nos respirations, et nos yeux ne se décollent pas. Hypnotisée par le bleu dur caché sous ses sourcils blanchis par le soleil, contrastant avec sa peau qui a pris la couleur sable.
Il y a quelque chose de magique, à cet instant.

Car sa main vient effleurer mon bras, et c'est tout mon corps qui frémit.
Le silence du bourdonnement de l'ascenseur, c'est tout.
Sa bouche vient trouver mon oreille, et j'écoute son souffle. C'est si fort, ce court moment, ces secondes qui s'égrènent tout bas, ce silence partagé du geste, ce... aucun mot ne pourrait le décrire comme je l'ai vécu.
Son visage est si près du mien. Tout près. Nos pommettes qui se frôlent. Ce qui m'arrive est un morceau de rêve, je ne le réalise pas pleinement. Quelque chose qui apartient à un monde onirique, mais non, je le vis, je le vis.

Alors que nous sommes si près l'un de l'autre, l'ascenseur s'arrête. Fin du voyage ; la fusée qui nous emportait à toute vitesse à des années lumières d'ici a explosé en plein vol. Ou plutôt implosé, sans laisser de trace.
Vite, nous nous écartons l'un de l'autre. Et c'est un de ses amis qui rentre. La conversation s'engage entre eux, l'autre n'a rien vu, rien. Et poutant, il est là, juste à côté de moi, je pourrais le toucher, je pourrais le frôler, mais tout nous est interdit, par la présence de ce tiers. D'ailleurs, en ai-je vraiment envie.

Alors, à mon étage, je descends, et me retourne vers lui. Nous échangeons un regard, il esquisse un sourire. Je lui rends cette petite lumière qui a illuminé ses traits, et il me fait un signe de la main. Il dit doucement un mot dans sa langue, que je n'ai pas compris, en signe d'au revoir.

Je sors de notre galaxie partagée un bref instant, en emportant avec moi ce morceau de rêve.

Il est parti le lendemain, tôt. Je l'ai vu monter dans le taxi qui l'emmenait jusqu'à l'aéroport.
Adieu, inconnu.


Je ne veux rien oublier. Cet instant où je suis allongée sur un rocher plat, la mer à un mètre de moi, sur cette île faisant face au port, et où j'ai laissé le temps couler autour de moi, comme  l'eau d'une rivière autour d'une pierre. J'étais la pierre immuable, immobile, et le temps poursuivait sa course autour de moi, le long de mes membres, de mes cheveux, de mes pensées. Tempus fugit.

Les chèvres qui ont traversé la route devant notre voiture, Lou Reed et de la bossa-nova dans les oreilles, des abricots secs dans la bouche. Les routes qui serpentent dans la montagne, et les vieilles femmes toutes vêtues de noir, le fichu sur la tête, parfois montées sur un âne.

'Kalimera', 'Efkaristo', ont été mes mots-bagages durant ces quelques jours. Parfois, je m'amusais à déchiffrer les caractères grecs, et à tenter de prononcer tout cela pour commander. Le grec revient facilement, du moins pour ce qui est de l'alphabet et des formes grammaticales. Pour le vocabulaire, je n'ai jamais rien su. Je me contente de reconnaître ici et là, sur les explications écrites de je-ne-sais-quoi, des formes que je connais, désinences et conjugaisons.

Les 'r' qui roulent sous la langue.
Les signes échangés avec des gens de la montagne.

Debout au bord de la falaise en pente douce, le vent qui vient battre près de mes tempes, et piquer mes yeux. Le soir, j'écris parfois dans mon cahier aux lignes aérées, presque dans le noir ; je respire l'odeur du papier, et je goûte à l'instant.


Mon père qui se détend follement au cours du séjour, il chante n'importe quoi à tue-tête dans la voiture, puis une heure après, le silence complice à la vue de l'horizon qui s'étend sous nos yeux. Ma mère, tendue au début, qui savoure, hédoniste, par la suite.
Le sourire, toujours, qui m'habite.

J'ai la sensation d'oublier tant de moments, de courtes minutes, de longues heures, de fulgurances qui me reviendront peut-être ensuite.
Ce soleil, qui m'a fait tant de bien.
Les souvenirs plein la tête. Non, pas la souvenirs. Les images. Je ne me souviens pas, je vois. Je vois en moi, je fais déjà revivre ce qui vit encore. J'appelle, je puise dans ma source de sensations, dans cette réserve de soleil que je me suis faite. Je garde contact avec cet ailleurs où j'ai vécu un peu.


La vision qui me revient est celle de ma chambre. Le matin, dans ma chemise de lin du Maroc, je me réveille, et le soleil inonde ma chambre. Sur le balcon, s'étirer  jusqu'à n'en plus pouvoir, et rire toute seule, parce que tout simplement, je vis.

Oui, je vis. Je vis tout cela, toutes ces choses, tous ces éléments, ces atomes de sensations, ces matières qui touchent mon corps, qui m’enveloppent de leur concret et de leur irréel, dans une danse à cheval entre ici et là-bas.



Ecrit par Feu, le Lundi 9 Mai 2005, 23:17 dans la rubrique Ecrits.

Inspirations soudaines :

Agrume
10-05-05 à 16:49

Très belle note...

Et mes souvenirs à moi de la Crète, à Pâques de l'an passé, qui ressurgissent.
Nous quatre dans le 4x4 tout pourri loué pour pouvoir passer dans les petits chemins, la tête dehors sur l'autoroute, les cheveux qui s'emmêlent... Les sourires aux lèvres, Pocahontas qu'on chantait avec ma soeur. L'odeur d'olive partout dans ces montagnes habitées seulement par les chèvres, ces braves chèvres qui traversent la route sans vergogne.
La couleur de la mer, quand on la voit soudain surgir derrière les oliviers...
*Nostalgie*


 
Feu
Feu
10-05-05 à 22:20

Re:

Merci...

Oh, tu es aussi allée en Crète... Oui, cette odeur d'olive qui flotte partout, qui enivre un peu, et qui ouvre l'appétit... Ca me rend déjà un tout petit peu nostalgique de tout cela, que tu l'évoques à ton tour. :)


 
Nioum
10-05-05 à 21:33

C'est charmant par ici...

...Et j'aime le soleil qui inonde vos mots. Où j'habite, il inonde ma vie et j'oublie parfois qu'il est si joli.

Merci pour ce souvenir qui était à vous, que j'ai pris un peu pour moi.

Sincèrement,

Nioum.


 
Feu
Feu
10-05-05 à 22:26

:)

Merci pour ces jolis mots que vous déposez ici ; et ravie du brin de soleil que je vous envoie par le biais des miens...
Si j'ai pu faire venir à vous un peu de mon univers, alors tant mieux. :)

 
Cocktail
Cocktail
10-05-05 à 22:03

C'est fou comme je retrouve certaines émotions que j'ai ressenti pendant mes dernières vacances. La vie qui traverse, comme tu le dis si bien...

Dis, je me demandais, tu es fille unique ? [Je me le demandais depuis longtemps, et puis c'est maintenant que je pense à te poser la question! ;) ]


 
Feu
Feu
10-05-05 à 22:30

Re:

En ce moment, je pense de plus en plus à ce "phénomène" de vie, je ne sais pas pourquoi, il me fascine, m'aimante, m'attire. J'aime cette vie que je sens partout.

Oui, je suis fille unique... je dois dire que j'aurais bien aimé avoir des frères et soeurs ; c'est pour moi quelque chose qui m'a manqué, souvent. L'envie de cette présence autour, dans laquelle on se reflète un peu, peut-être, qui nous ressemble sans doute, qui comprend parfois, je ne sais pas... C'est quelque chose que je n'aurais pas connu.
Mais je n'en souffre pas, non! C'est juste un petit regret, enfin, regret, ce n'est pas à moi que c'est dû. Disons que j'aurais bien aimé, parfois, savoir ce que cela fait, d'avoir des frères et soeurs. De partager un peu plus son espace avec eux.
Et en même temps, si j'avais connu cela, sans doute n'aurais-je pas évolué comme je l'ai fait jusqu'à aujourd'hui. Chemins de vie...

Savoure la chance que tu as d'en avoir! (d'autant plus que ça doit être chouette, -bien qu'embêtant parfois-, d'avoir une famille nombreuse, non?) :)

 
joumana
joumana
11-05-05 à 10:39

Re: Re:

Oooooooh oooooh ooooooooooooooooooooooooooooohhhhhhh

En apesanteuuuuuur
Pourvu que les secondes soient des heures
En apesanteur
Pourvu qu'on soit les seuls
Dans cet ascenseur

(Pardon)
(Mais c'est de ta faute!)
(Chouettes vacances, chouettes mots)
(Bisous :-))

Ooooooooooooooooooh ooooohhhh
En apesanteuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuur

 
LuluInTheSky
LuluInTheSky
11-05-05 à 12:49

Mais !!

Tu aurais du l'embrasser ce bel appollon :)

 
Feu
Feu
11-05-05 à 21:29

Re: Mais !!

J'en aurais bien eu envie, mais visiblement, l'ascenseur n'était pas très d'accord...
Tant pis, je garde le souvenir de cet instant d'éternité, qui fut, il faut bien le dire, drôlement chouette! ;)

 
Feu
Feu
11-05-05 à 21:28

Re: Re: Re:

(Merci Joumana)
(Mais c'est rien du tout)
(Tout le monde a le droit de chanter à tue-tête!)
(Surtout quand la chanson est chouette)

Tiens, pour le coup, je m'y mets aussi : Wohohohooooooooooooooo, en apesanteeeeeeeeeeeeeeeur...

:)


 
emberlificoteuse
emberlificoteuse
21-05-05 à 18:26

:)

J'ai enfin le temps de lire et... je me régale. C'est très beau.

Oh, ces oliviers, ça me fait penser à un livre que je viens de terminer, très beau livre. "Le Soleil des Scorta" de Laurent Gaudé. Je suis sûre que tu aimerais, c'est un peu dur, dans un sens, mais c'est si beau, wouaw... Lis-le, si tu peux.. :)


 
Feu
Feu
21-05-05 à 21:41

:D

Merci, emberlificoteuse... Contente de te voir ici! :)
Je vais tâcher de trouver ce livre ; j'aime bien les livres durs et beaux, c'est souvent ceux qui me marquent le plus (plutôt que des romanesques et happy end, des suspens-qui-font-peur, des guimauves-qui-émeuvent-et-font-pleurer-à-chaudes-larmes-mais-rien-d'autre)! ;)