Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
Soutenez le Secours populaire
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

Habiter le temps

Mardi après-midi, j’ai joué aux dés et ai lu une liste des stars-d’un-jour-oubliées, épaule contre épaule avec Thomas. Deux heures côte à côte, à meubler le temps qui passe, écouter d’une oreille les élucubrations satisfaites du prof.
Après une demi-heure, de ma trousse tombe mon poisson orange en plastique, un des cadeaux loufoques de Kami pour mon anniversaire. « Wah, tu as un poisson pop art ! La classe ! » Il le prend dans sa main, s’extasie sur son réalisme, sur l’allure, et le côté multifonctions, parce qu’en le mettant debout sur ses nageoires arrière, il fait aussi otarie, il est fort, mon poisson.

Et puis, je sors mes minuscules dés de ma trousse, qui s’improvise ainsi caverne d’Ali-Baba, et Thomas les lance : « Allez, double 6 ». Paf, un double 6. Coup de chance ! « Double 2 » Double 2. « Allez… j’y crois pas, mais double 5 ! » Double 5. On se regarde, ahuris. « Euh… double 4 ! » Double 4. « Cinq et un ! » Ce sont le cinq et le un qui sortent. Regards déboussolés, il a une chance incroyable ; j’en viens à lui demander s’il ne triche pas, où s’il n’a pas envoûté les dés, mais de son regard aussi étonné que le mien, il me jure que non. On rit comme des gamins, le prof nous lance des regards un peu courroucés ; on se tasse sur nos sièges en planquant les dés derrière sa trousse, pour continuer à jouer tranquillement.

Deux heures de notes prises à l’arrache, presque paresseusement, distraitement, plus intéressés par le contenu de son agenda très curieux ou par les merveilles de ma trousse, de laquelle émergent aussi un shilling allemand, une pièce tchèque, un porte-clef super-kitsch, et autres ‘bidules’ formidables.
Thomas, son air ailleurs, avec cette nonchalance ouverte, réceptif et drôle. Je me rappelle avoir parlé de lui, une fois, l’année dernière. Je parlais de son « air bulgare », je crois, et de ses yeux bleus, très clairs.
Tiens, c’est drôle, j’ai pensé que son regard était aquatique, alors que je viens de parler d’un poisson. Méandres de l’esprit, où commencez-vous, et où prenez-vous fin ?


Fred avait… quelque chose, jeudi. Comme une assurance, je ne sais pas. Plus serein. Plus homme, peut-être. Comme si quelque chose l’avait tranquillisé durant les vacances. J’ai eu l’étrange sensation qu’il m’échappait doucement, au début de l’heure. Mais en fait, non. J’ai vu son regard s’accrocher au mien, et son air un peu déçu, lorsque je lui ai dit que je ne pouvais pas le voir ce week-end, faute de temps. Toujours ces trois point de suspension jusqu’à la semaine prochaine, que je lui inflige malgré moi, et en même temps par moi-même. C’est étrange, je n’arrive toujours pas à me définir par rapport à lui. Je ne parviens pas à savoir si je suis à l’aise ou un peu gênée, si j’ai envie d’être son amie ou pas, de me rapprocher ou de laisser notre relation comme elle est, quitte à ne plus le revoir l’année prochaine si nous ne sommes plus dans le même cours, s’il me plaît ou pas, s’il me laisse indifférente ou si malgré tout, je suis un peu attirée part ce qui émane de lui, s’il faut rester dans ce système de se voir une fois pas semaine en cours ou bien si je dois accepter ou proposer une invitation, quelque chose un week-end ou pas. Je ne sais pas. En fait, mes sensations fluctuent d’une seconde à l’autre. Un instant, je le trouverai fragile, trop fragile pour me sentir stable, l’instant suivant, il aura repris de l’assurance, et je constaterai qu’il a du charme, avec un beau visage, et qu’on rigole bien ensemble. Et la seconde d’après, il sera pris d’un accès de timidité qui me touchera, ou bien m’agacera un peu, selon la qualité densitative de cette seconde… Je peux tout autant me sentir à l’aise, sûr de moi-même, durant une minute, et celle d’après, ne plus être tout à faire naturelle, soi parce qu’il me trouble légèrement, soit parce sa timidité me fait me sentir empruntée, à cause de mon désir de ne pas le gêner, de le mettre à l’aise.
Et pourtant, en y repensant, maintenant, tout de suite, je ne sens aucune attraction immédiate. Seulement , peut-être, une attirance due au fait que je l’attire, et que des « peut-être » sont glissés en sourdine dans nos instants partagés. J’ai peur d’aimer l’amour, je me refuse à tomber dans cet écueil si simple et si stupide ; alors, je me freine, je garde la distance, je virevolte et murmure : « Pas cette fois-ci… Le week-end prochain, peut-être ? » avec un grand sourire. Je vois tout dans tes yeux, Fred, je vois le désir, la frustration, la joie d’une complicité, la déception de l’attente insatisfaite, et je commence à craindre de voir la lassitude, car malgré moi, comme chacun, je désire que tu restes… « à moi ». Hideuse formulation, presque despotique, pour suggérer que j’aime tant savoir que quelqu’un ne respire que par mes mots une fois par semaine, attend chaque jeudi avec espérance et anxiété, comme tu me l’as dit toi-même, comme je le perçois en filigrane dans tes gestes et l’entends au fond de tes mots.
Et paradoxalement, alors que je me refuse à tomber dans cet écueil de l’attirance trop rapide, alors que je pense qu’il faut du temps pour découvrir l’autre, qu’il faut partager des instants, et que le chemin le plus logique serait donc de se voir plus en dehors des cours, pour justement partager autre chose qu’une heure d’amphi et des discussions à voix basse pour ne pas irriter les élèves concentrés autour de nous,
alors que tout cela, je ne parviens pas à dire oui, à proposer quelque chose. Presque une peur, oui, presque. Pourtant, notre samedi après-midi au musée était vraiment bien, il y a eu comme une confiance entre nous deux, comme quelque chose de plus, une découverte chaleureuse et complice, au-delà du déséquilibre que sa déclaration avait, malgré mes efforts pour que tout redevienne naturel « comme avant », instauré entre nous deux.
Alors, je laisse en suspens. Une façon de me protéger, peut-être. Je ne sais même pas, je ne peux rien dire de certain. Tout est flou, flou. Peut-être cette situation « entre deux », jamais résolue, me satisfait-elle. Ou peut-être m’abuse-je. En refusant de voir. D’ouvrir les yeux. D’être… responsable. Voilà, je refuse peut-être d’être responsable d’un projet commun, d’une ouverture. Parce que je sais qu’à présent, c’est moi qui ai les clefs en mains. Ils me les a données, sans détours, spontanément, il s’est mis à nu, il m’a tout offert. Il me restait plus qu’à ouvrir la porte ou pas. Je lui ai signifié que je souhaitais qu’elle reste fermée, mais par mon comportement ouvert, chaleureux, par cet effort de naturel, ne voulant pas tout briser entre nous deux, je l’ai en quelque sorte… laissée entrebâillée. Et des sons s’échappent de cette porte, des odeurs, des bribes de je ne sais quoi, qui m’intriguent, me font me poser des questions sans réponses, croient me livrer des certitudes mais n’en sont absolument pas. Pas de position sur laquelle se camper, pour une fois, c’est moi qui mène la barque, et je crois que ça m’effraie un peu. Passée l’ivresse de se sentir plein d’un pouvoir nouveau, il reste l’appréhension de s’en servir.


Les vacances vont arriver trop tôt. Trop tôt pour tout.
Elles laissent en suspension des ébauches de rapprochement, avec beaucoup de gens de mon TD, dont je ne parle pas ici, mais qui prennent de plus en plus d’importance à la fac. Une fille, Maud, toujours de bonne humeur et avec un caractère faussement de cochon, prête pour rigoler, vive et fine ; il y a une longueur d’ondes partagée. Le petit trio de K. et ses acolytes. D’autres visages, un peu partout. Damien. Ceux de l’ancien TD de Raphaël et Romain, tellement détendus et ouverts. Agathe, Fabien (oui, le Fabien dont je parlais l’année dernière), Jérôme, Milie, Gabrielle… Tout le monde s’entend bien avec tout le monde, j’aime cet esprit de communication qui circule, dans cette Licence. (oui, maintenant je peux crâner et dire que je suis en Licence, grâce au système LMD, alors que ‘normalement’, je suis en Deug 2… Ca nous donne à tous la sensation d’avoir une année de plus !)
Enfin, vacances. Ce n’en sont pas vraiment, pour les trois première semaines. Ce sont celles des partiels. Mais les cours s’arrêtent, et je n’ai que deux épreuves. Importantes, mais seulement deux. Deux jours.


Durant une des deux semaines de vacances officielles, je vais sans doute partir avec mes parents et Kami à Granville. La plage déserte en hiver. Le vent qui balaie l’eau, les mouettes dans le ciel gris, les petites rues, la baie du Mont Saint-Michel, le caramel au beurre salé, les arapèdes sur les rochers, les empreintes dans le sable, courir, respirer.
Hâte de ce bol d’air improvisé, décidé hier soir.


Tout à l’heure, dans la rue, je me suis soudain laissée surprendre par le silence.
Seulement le ciel nu au-dessus de moi.
A côté, les pelouses d’un jardin d’entreprise, immenses.
La rue déserte. Des voitures garées à l’infini.
Juste moi.
Le ciel gris.
Le silence.
Je me suis arrêtée. Pour écouter. Ecouter ce rien qui faisait justement ce tout, ce non-bruit, ce chut, ce doigt posé sur les lèvres. Ca n’était pas le bouton stop du son, ça n’était pas une radio coupée, ça n’était pas un rien. C’était quelque chose de puissant, de fort, d’immense, un silence plein, plein de quoi, je ne savais pas, plein de possibles, de choses passées. Voilà, j’ai trouvé : plein de choses qui circulaient. Une immense masse en apparence vide, mais plutôt plane, et en même temps en relief. Si difficile à décrire, mais si évident à ressentir.
Et puis j’ai vu, sous l’essuie-glace d’une voiture, une rose dans son papier transparent et jaune clair. Mise là par quelqu’un. Peut-être un admirateur. Un jeune homme amoureux secrètement. Ou une jeune femme. Un mari que sa femme a quitté et qui lui laisse ce message, comme une demande silencieuse. Peut-être un accord tacite entre deux personnes, un non-dit qui exprime tout par le biais de cette rose, là, sur ce pare-brise.
J’ai trouvé ça terriblement beau.


Tout à l’heure, la galette chaude dans ma bouche, miettes d’enfance, Epiphanie ; la galette a toujours été là, chaque année, et je ne savais pas ce qu’elle signifiait, mais peu importe. Juste la saveur d’enfance, ce sucré si doux, ce moelleux croquant, cette si jolie alliance des contraires, si bonne ; « bonne » correspond parfaitement à la galette, ce côté traditionnel, chaleureux, comme enfoui de le sein d’une nourrice, d’une mère, maternelle, si chaud et bon, bon, comme un sourire de petit garçon quand on lui donne sa part. Comme la laitière du tableau, qui verse son lait, avec cette assurance tranquille qui laisse d’autant mieux part à l’imagination, à l’invention, qu’elle est là, bien là, sûre et apaisante. Cette tradition tranquille et rassurante de la galette, cette chaleur d’une cuisine, d’un fournil – que j’aime ce mot, il évoque à lui-même la chaleur, le partage, la cuisson dorée, le plaisir, le rassurant, l’enfance, le bon pain, le goût, le sourire -. Comptine qui revient, toujours ce parfum d’enfance au goût de frangipane, J’aime la galette, Que fait ma maman, Quand elle est bien faite, Avec du beurre dedans…


Mercredi, c’était le dernier cours avec ce professeur si formidable, cette tornade émotionnelle et musicale, cette rigueur explosive, cette sensibilité communicative, plein d’humour et de passion, de maîtrise et de savoir, d’inventivité et de rire qu’il nous offre si simplement, en ignorant lui-même que nous l’aimons tant.
Ses yeux toujours vers le haut, vers un ciel musical qu’il atteint déjà, mais dont il nous fait partager les espaces si beaux. Cette richesse humaine qu’il porte en lui, cette bonté et cette complicité, conscience de qui nous sommes, il nous connaît, nous emporte avec lui dans son tourbillon d’idées et de découverte durant une heure, et même après.
Et puis, cette tendresse, cette douceur, cette curiosité, sa capacité d’éveiller mieux que quiconque en nous la passion, la compréhension, l’ouverture à la musique, pour tendre mieux encore vers le langage de compositeur, vers la beauté et cet instant qui nous fera ouvrir les yeux et nous dire : « Mais oui, c’est ça ». Mettre le doigt sur un détail, et sentir confusément que c’est l’ensemble tout entier que nous avons saisi.
Au revoir Monsieur, et merci pour ces si beaux cours. Deux belles années, si riches de vous, de vos mots, de cette humanité si belle qui vous habite, de votre musique personnelle, et de celle que vous nous avez découverte.



Des moments, des instants, et je vais et je poursuis mon chemin. Le temps file, le temps file, depuis le 1er Janvier je ne sais plus quel jour nous sommes. J’ai envie de m’arrêter plein de fois en chemin, de mettre pause sur des moments, surtout rétrospectivement, mais le temps file, file, et je souris en regardant en arrière.
Aujourd’hui, il y a un an, c’était la fin du temps de Raphaël et moi. Joyeux un an de célibat moi-même…
C’est fou comme cette année est passée rapidement, 365 jours, qui me semblent avoir filé en un éclair. 365 jours, c’est énorme, 1+1+1+1+1… Tant de fois 24 heures pour faire tout ce qu’il y a à faire et tout que l’on a envie de faire, c’est fou que cela ne suffise pas, et que malgré moi, je remette toujours des choses à demain car je n’ai pas eu le temps. Et en même temps, je le laisse si facilement passer, j’ai tendance à oublier que ces minutes, ces heures, sont si précieuses, j’ai parfois envie de me secouer, pour ne pas oublier que chacune des ces minutes et un concentré de potentiels, de choses non-encore faites, et à réaliser, un melting-pot de possibilités, de demains à venir, de futurs à construire.
Habiter le temps encore plus, plus que jamais, voilà une des mes envies les plus fortes.


Pour vivre encore mieux, jusqu’au bout des doigts, jusqu’au bout de la parcelle habitable de temps dont je dispose à chaque seconde.


Ecrit par Feu, le Dimanche 8 Janvier 2006, 23:30 dans la rubrique Ecrits.

Inspirations soudaines :

kammika
kammika
10-01-06 à 17:29

j'aimerai repondre a tout mais tu alisses pas le temps ! Des qu'on a fini un sujet on saute sur le suivant !
POur ton prof je suis contente que tu le vois comme ca parce que moi qand mon prof prefere ( de guitare ) est partit je lui ait fait la scene avec les violons et tout et tout ! Tu sais je crois qu'a trop se poser des questions sur l'instant present et si on en profite bien, il est passe ! Habiter le temps pourquoi pas mais le temps ruisselle sur nous et tout ce qu'on peut faire c'est en profiter et s'eroder !

 
Feu
Feu
11-01-06 à 17:13

Re:

C'est drôle que dises que j'écris vite, parce qu'au contraire, j'ai la sensation d'écrire peu, que mes posts se font de plus en plus espacés..
Pour le temps, c'est vrai qu'il faut en profiter, bien sûr! Et justement, pour en profiter, il faut l'habiter encore plus, chaque seconde. Ce que je veux dire, c'est qu'habiter ne veut pas forcément dire "tout calculer"... bien au contraire! Se laisser porter par la spontanéité, et en profiter, comme tu dis!

 
souffle
souffle
11-01-06 à 20:46

c'est... comment dire... un amassis de beaucoup de choses donc je ne sais même plus à quoi répondre ou sur quoi donner mon avis.

ah merdalor... lol ^^

BISOUXXXX (se prononce bisouxxxx ou bisouxeeee)


 
Feu
Feu
12-01-06 à 16:20

Re:

C'est vrai que j'ai pas mal écrit pour cet article!...
;))
(moi aussi, bisouxxx, je prononce "Bisouxes")