Une semaine hors du temps, quelque part entre ici et Ailleurs... Envie d'écrire en style "Trébuchet", ce soir. Pas en "Arial", comme j'en ai l'habitude. Peut-être parce que ces petites lettres un peu rondes sur les bords me semblent plus chaleureuses?
S'installer devant l'ordinateur, relever ses mails, en voir plus d'une dizaine, et sourire. Norah Jones en fond, le chat qui se prélasse comme un pacha sur le pouf, ma petite lampe allumée, et un bon pull sur les épuales.
Etre enfin partie, enfin, hors de Paris. Ca faisait depuis Août que je n'avais pas mis les pieds hors de
Ouvrir grand les bras et inspirer un grand coup.
C'était ça, Ré.
Les plages désertes, à marée basse, à perte de vue.
La mer grise les jours de neige, bleue, orange et or au coucher du soleil. Et bleu roi sous le soleil resplendissant. Qui brille si fort que ça en paraît presque surréaliste, tant il fait froid.
Partout, partout, l'espace, sur la route du trajet comme sur l'Ile elle-même, cette immensité tout autour de soi... Je n'arrivais pas à réaliser.
Et on rentre le soir à la maison, par les petites rues aux murs de pierres empilées les unes sur les autres, on rentre, ivre de vent, saoûl d'espace, gorgé de la mer et de la terre, et du ciel qui s'étend sur elles. Heureux, tellement heureux.
Fatigue incroyablement régénératrice.
Le froid si vif les premiers jours, qui pince les jambes, qui rend les doigts gourds et violets. On s'enfonce dans les manteaux, l'écharpe qui s'emmêle dans les cheveux, qui manque de s'envoler, et on la rattrape à bout de bras.
Le rire pour tout et rien avec Kami, nos regards et nos codes, nos délires verbaux, on invente des personnages fous et idiots, on rit à gorges déployées pour un geste, une image, qui ne dit rien mais suggère tout. Et cette compréhension si forte qui passe entre nous deux.
Et parler encore et encore jusqu'à deux heures du matin.
De tout.
Du chemin qu'empruntent nos vies.
Des êtres qui les peuplent. De Chuck. De son prof de physique, dont elle rêve malgré elle. De leur charisme, à tous les deux, ces détails qui font leur singularité. Je trouve que dire de quelqu’un qu’il est singulier est une des plus belles dénominations que l’on puisse offrir. Du coup, je lui parle de cette attraction mêlée d'admiration que j'avais pour mon prof de lettres, en 1ere. Cette fascination, cette petite peur que j’avais au ventre en croisant son regard, cette exaltation qui m’envahissait lorsque je développais une idée autour d’un texte, et que je sentais ses yeux m’encourager, et que je voyais ses lèvres formuler ces seuls mots : « Oui, c’est cela, ce que vous dites est très juste. » Compréhension, toujours.
Et nous en venons à son oncle, cet éternel ado, qui, à 45 ans, après avoir un peu forcé sur l’alcool il y a quelques années, meurt à petit feu d’un cancer généralisé. Lui qui était le premier partant pour la rigolade, un bon vivant, plein d’humour, toujours avec les enfants, au look d’ado, un peu grunge, la gueule de travers et le sourire jusqu’aux oreilles. Il meurt. A l’hôpital. Alors qu’il est tout juste papa. Et ça fait étrange de l’écrire, de le dire.
Partant vers des chemins plus légers, nous traçons sur une feuille de papier des esquisses de l’homme idéal, multipliant les adjectifs en riant, car nous savons pertinemment que nous manions le cliché avec un bonheur certain…
Le soir, se faire des crêpes, qu’on mange debout, sans même prendre le temps de s’asseoir, encore toutes chaudes dans les mains, avec de la confiture de pêches faite maison.
Ramasser des galets aux formes que l’on aime, et les peindre, à petits coups de pinceaux, assises autour de la table ronde, avec la grande bâche posée dessus, avec en fond, quelques vinyles déjà passés, presque ringards, mais qu’on se passe en boucle, comme les Popies.
Non, non, rien n’a changé, tout, tout va continuer, hey-heeeeeeeeeeeee…
Courir après le coq qui se ballade dans la petite ruelle au sol de terre battue, et mourir de rire en voyant sa démarche affolée et sa coupe à l’iroquoise.
S’amuser à faire un film aux détails burlesques, aux dialogues absurdes et aux personnages ahurissants, avec sa petite sœur, qui grandit. Je l’ai connue petite, toute petite, elle avait… 2 ans. Elle en a 10, à présent. Et elle réfléchit, elle pense, elle tombe amoureuse, elle rit, elle court, elle bricole. Et elle me regarde parfois soudain avec un immense sourire complice, avec son grain de beauté qui me fait rire.
Lui raconter des histoires merveilleuses le soir, comme au stage de musique cet été, que je fais tous les ans avec Kami, et depuis deux ans avec sa petite sœur aussi. La voir s’endormir peu à peu, luttant pour garder les yeux ouverts et savoir ce qui va arriver à
Jouer au monopoly parce que l’envie nous en prend soudain, un matin, peut-être être-ce pour retrouver ce goût d’enfance que nous avions laissé dans ces lieux il y a maintenant… six ans. Devenir un véritable Gripsou, échafauder des argumentations débiles pour persuader l’autre de nous la donner, cette avenue Foch en échange de mes deux gares… (hm, pas forcément très bon, comme deal, je sais). Se retrouver sans le sou après avoir acheté huit maisons pour les trois cases rouges, et demander des ristournes à Kami qui a réussi à transformer
Et puis le soir, aller regarder le coucher de soleil, magnifique, sur la plage, assises dans le sable froid qui nous rougit les doigts. La mer qui devient multicolore, le vent qui arrache presque les oreilles, et le soleil qui devient orange tout là-bas.
Se sentir vivre, tout simplement, tellement vrai, tellement fort…
Faire de la flûte, pendant une heure, deux heures, et avoir l’impression d’avoir « fait sa journée », comme ça. La musique qui vient.
Et poser ses doigts sur le piano désaccordé, un ton et demi en-dessous de la note réelle. Appuyer sur la touche de « la », et entendre un fa dièse. Kami accorde donc son violon en conséquence, et nous tentons de retrouver les couleurs du Piazzola que nous avions joué cet été… Mais c’est trop difficile de réussir à jouer juste. Alors, Kami, d’un revers de main, éloigne sa partition, et nous voici parties pour une impro sur des basses de tango au piano.
Surtout, hurler de rire lorsque j’empoigne mon accordéon, sur lequel je m’exerce depuis quelques semaines, et que je sors des petits morceaux de tango bal musette. Kami prend sa flûte, et c’est une autre impro qui démarre, cette fois-ci, encore plus populaire, sopranino-fifre et accordéon-concertina, qui dit mieux ?
Sur la plage, courir n’en plus pouvoir.
Ecrire nos noms dans le sable presque vierge, tourner sur soi-même comme des toupies.
Et puis s’asseoir dans le creux d’une dune, à l’abri du vent, et parler.
Sentir le même sourire, terriblement complice, qui nous monte aux lèvres pour les mêmes choses. Arrive un « Bidji » aux yeux et à l’allure à en faire fondre la banquise ; faire semblant de ne pas l’avoir vu pour ne pas être une petite ado en folie à la vue d’un spécimen magnifique, et puis finalement, éclater de rire, parce que hein, après tout, on a tous les droits, ce sont les vacances, et puis, qui nous comprend mieux que nous ?
Rigoler en regardant sur l’appareil numérique les photos et les petits films que l’on a prises il y a trente secondes ; Se dire qu’on est pas mal ou qu’on a une tête de morue à moustaches sur celle-ci, que non, ce n’est pas possible qu’on ait une telle voix d’hôtesse de l’air, mais qu’en fait, là, ça va mieux quand même.
Entrer dans une église, savourer l’immense édifice autour de nous, vide, vide. Les statues aux regards perdus dans le vide, les chaises alignées, les grandes voûtes et les petites alcôves. Se dire que même si l’on ne croit en aucun dieu, comme nous, les églises sont des lieux superbes, si apaisants.
Et puis soudain, entendre au loin une petite musique, et tendre l’oreille. De l’orgue ? Des chœurs ? Une messe ? Une cantate ?
Non, des chants djeun’s religieux, façon Jean-Jacques Goldman, aux paroles, euh… et à la musique si entraînante…(hum) : « OoOOoh, mon Dieu, my friend, je me sens si doux entre tes braAaAAs, oh guide-moOoiiii… J’aime mon bouuulot, le cœur à l’ouuuuvrag’, je te promets je suis bieeeeeen sag’, oui, oui, ouiiiii… »
Et rire, tout bas, parce que l’homme, qui, a quarante mètres au-dessus de nous, répare les vitraux, se balance doucement sur le rythme de cette musique.
Le matin, se réveiller, la lumière qui entre, fraîche, par les interstices dans les volets. Ouvrir ces derniers, le flot d’horizon qui entre dans la chambre, et la mer derrière les dunes, à cent mètres, qu’on entend, et qu’on voit, grise, bleue et blanche parfois.
Et la petite sœur qui vient avec moi squatter le lit de Kami, et on reste toutes les trois allongées, un câlin de la petite sœur…
Sentir l’odeur du pain grillé en descendant. Et boire du lait cru, que je ne bois qu’ici, à l’Ile de Ré.
Assise à la table, tourner la tête et voir le fameux coq voisin, et aller courir pieds nus dans le jardin, encore une fois, juste pour le plaisir de le voir glousser en trottant, plumes et folie. On rentre les pieds gelés, et le lait chaud ne nous en paraît que meilleur.
Ré… qu’est-ce que c’était d’autre … ?
Manger un coq au vin au restaurant et se sentir observées par le cuisinier qui nous fixe avec un air assez… psychopathe.
Et pouvoir s’engouffrer une tablette de chocolat-au-lait-noisettes-noix-de-cajou-raisins, sans l’once d’une éventuelle culpabilité.
Génétique en bandoulière,
Chromosomes dans l’atmosphère,
Des taxis pour les galaxies,
Et mon tapis volant dis…
Pendant que la marée monte,
Que chacun refait ses comptes,
J’emmène au creux de mon ombre,
Des poussières de toi
Le vent les portera
Ce parfum de nos années mortes,
Qui vient frapper à ta porte,
Infinité de destins,
On en pose un, et qu’est-ce qu’on en retient ?...
Les paroles de Noir Désir nous bercent sur le chemin du retour, voisinant avec les Platters, sur lesquels nous faisons à cœur joie du play-back, avec
La musique qui vibre dans mon oreille, posée sur l’épaule de Kami, qui s’endort au gré des chansons.
Et le paysage qui défile, nous avons quitté la mer, ça y est.
Les plaines enneigées, à perte de vue. Moi aussi, je suis allée à la neige.
Les flocons déposés sur les branches qui font comme des fleurs dans les arbres, les oies sauvages qui poursuivent leur chemin dans le ciel gris.
Et rire encore une fois pour cette voiture qui nous talonnons ou qui nous talonne, c’est selon, et dont le passager arrière, côté fenêtre gauche, aux sourcils droits et aux cheveux noirs, nous a fait un grand sourire au payage.
C’était tout ça, mes vacances.
La petite musique de Ré.
Inspirations soudaines :
Re:
Tes vacances....
....on aurait aimé en passer d'aussi belles....
Tes vacances, on aurait aimé qu'elles durent une eternité pour que tu puisses nous transmettre toutes les nuances de ta bonne humeur....
Merci Feu....c'est tellement agréable.
Re: Re: Tes vacances....
Eh oui, moi aussi, j'aurais bien aimé qu'elles durent encore plus longtemps... C'est tellement ressourçant, le mer. Le tout, c'est de ne pas trop vite se laisser happer par la routine...
Mais en même temps, je suis bien contente d'être rentrée!
Etolane-Lantrec
J'adore cet article, ça bouge, ça virevolte, il y a des couleurs, des senteurs, et émotions dans tous les sens, des "paysages choisis" aussi ;) ça...vit tout simplement. J'aime.
Bisous,
Etolane.