C'était tout à l'heure, là, ce matin. J'ai encore du mal à réaliser. Emue. Un peu triste. Pas bouleversée, mais si, quand même. Il était si fragile. Si... Je ne sais pas comment dire.
A la sortie de la fac, il apparaît, comme par magie, alors qu'on s'est quitté deux heures plus tôt. "Feu! Tu as cinq minutes?". J'évoque une répétition à laquelle je dois bientôt aller. Et je commence soudain à comprendre, lorsqu'il répète : "Juste cinq minutes." Trois mots qui disent déjà tout. Un court silence entre nous deux, je lance quelques paroles, le soleil qui inonde nos visages, il faut faire des provisions pour l'hiver, hein, je dis en riant. Il n'écoute pas, je le sais, alors je me tais.
Comme une électricité dans l'air, c'est étrange, je ne sais pas ce que je pense, il y a comme un vide et un trop-plein.
Il trébuche sur les mots.
"Feu, je..."
C'est si difficile à dire, je ne le sais que trop bien.
'Je t'aime.'
Nous sommes en plein milieu du passage piéton, les voitures arrivent, et il court devant moi pour éviter de se faire renverser. Tu fuis, je sais, on a tous envie de fuir à ce moment-là. Une voiture, je le rejoins.
Et il est là, il tremble de froid, mais pas seulement, je le sais, je le sais. Il tremble comme un fou, ses yeux qui me fixent et me fuient à la fois, et moi, je réalise. Fred...
Des bouts de phrases qui me viennent aux lèvres. Il bafouille, s'excuse de me "lancer ça comme ça", je souris, et je tente de combler par mes mots le vide que je crée, que j'avais déjà créé en lui. Ce vide, ce débordement en même temps, que je pressentais, depuis quelque temps déjà.
Je ne sais pas quoi dire et les mots viennent naturellement à la fois ; je me retrouve avec étonnement en train de trouver des mots justes, des mots-baumes, des mots-compresses, des mots que j'essaie de faire les plus doux possibles. J'ai si peur de lui faire mal, du moins, de lui faire encore plus mal que je ne viens de le faire. Je tente de traduire en phrases cette surprise qui n'en est pas vraiment une, mais ce qui compte surtout, ce de ne pas lui faire mal, parce que je sais, oh je sais trop bien comme ça fait mal, dans ces moments-là.
Je sais comme on se sent fragile et tremblant, je sais comme on a le coeur retourné, je sais comme on a envie de courir très loin, je sais comme on se sent stupide et désemparé, je sais comme on a qu'un désir, c'est d'embrasser l'autre et de partir sans se retourner.
J'esquisse par des mots, que je comprends, que non, je ne suis pas gênée, que je ne vais pas le fuir pour ça, que ça me touche, que je tiens à lui, que je l'aime... bien. Je me sens coupable de lui dire ça, je lui dis que j'aimerais pouvoir répondre à ce qu'il vient de me dire comme il l'aimerait, mais que... voilà. Que j'ai une tendresse pour lui, cette complicité entre nous deux, c'est toujours si agréable, plaisir de le retrouver à chaque fois. Non, Fred, ça ne vient pas de toi, ça n'est pas ta faute ; je veux lui faire comprendre que ce n'est pas lui auquel je dis non, il n'est pas non-désirable, j'apprécie sa présence, ses mots, et je suggère qu'il est plaisant à voir, oh, je suis maladroite mais j'ai tant besoin de le réconforter.
Ce que je ne dis pas, c'est juste que... il est tout ça, mais que voilà, ça n'est pas entré dans mon coeur, ça ne pas bouleversée jusqu'au fond de moi-même, je l'apprécie comme il est, mais voilà, voilà, il y a ce "c'est tout" et ce "pas plus" qui m'empêchent de répondre de la manière qu'il aimerait, malgré le fait que j'aime beaucoup sa présence, et qui il est, lui, Fred, ce garçon si spécial et intéressant.
Il tremble, encore, encore plus fort, il sourit et son regard est triste, il reste là, ses mots qui se heurtent au miens, on parle presque en même temps. Il s'excuse encore de me dire ça comme ça, je lui réponds que d'autres n'auraient jamais osé, lui, si.
Il en avait besoin, il fallait qu'il me l'avoue. "Je me suis dit que j'allais une fois de plus ne pas te voir pendant une semaine, et je ne pouvais plus attendre". Il m'aime, parce que... je sens tout l'effort que dire cela lui coûte, je ne suis pas habitué dit-il, mais tu sais, Fred, personne n'est habitué, c'est difficile de dire sincèrement ce que l'on ressent.
C'est si difficile de recevoir ces sentiments et d'être obligée de leur dire 'non', même si le mot n'est pas survenu entre nous, c'est si difficile de ne pas blesser l'autre.
Alors il y a cette impulsion qui me fait m'approcher de lui, lui que je n'ose pas toucher, que je n'ose pas effleurer de peur d'être maladroite.
Mes lèvres qui viennent se poser sur sa joue droite, silencieusement, pour tout dire.
Il murmure un 'merci'. Un sourire naît sur son visage, à peine, s'efface dans l'instant.
C'est comme s'il sentait qu'il fallait qu'il dise tout, il m'aime, parce que... Parce que ces choses qu'il me dit, ces quelques mots simples mais qui me bouleversent, et je souffle que je suis aussi émue que lui, même si c'est différent, ce qu'on ressent, là, maintenant.
Oui, je le réalise soudain, je suis chamboulée en moi-même, je suis terriblement émue. Parce qu'il est si seul, si mis à nu devant moi, parce ce qu'il me dit me touche. C'est si beau, si fragile, cet amour qui se découvre, je le sens à fleur de peau. Il m'aime, ça se sent, ça se voit, ce ne sont pas des chimères par lesquelles on s'abuse parce qu'on est parfois seul et qu'on prend la première personne venue, non, non, il m'aime et ça crève les yeux et ça me crève le coeur.
Je lui dis que n'aurais qu'une envie, c'est le serrer dans mes bras pour le réconforter, et je, et je. Je n'ose pas et je en faisant le geste, je me serre moi-même dans mes bras, comme j'aurais envie de le serrer contre moi, maintenant. Parce que je sais tellement bien comme on aimerait être pris dans les bras de l'autre, à cet instant précis. Parce que je me souviens de L. et de cette solitude immense que j'ai ressentie ce jour-là. Que j'aurais aimé si fort ses bras autour de moi.
Je sens que je dis les mots justes, les mots qui font moins mal, tout ce que j'aurais aimé qu'il me dise ce jour-là, tout que je voudrais qu'on me dise, si un jour, ça devait m'arriver une nouvelle fois. Je veux tant atténuer sa douleur, je veux tant, si ce n'est lui faire du bien, lui faire le moins de mal possible. Lui faire comprendre qu'il compte à mes yeux, que ce qu'il me dit m'émeut, me fait plaisir, me rend triste et gaie à la fois.
Et puis, les mots qui s'effilochent peu à peu, et nos pas qui nous reconduisent vers le métro.
La conversation que j'oriente doucement vers des mots plus simples et courants, des sujets plus familiers, j'évite peu à peu de revenir à ces dix minutes passées ensemble sur ce bout de trottoir, où il m'a montré le tréfond de lui-même. J'essaie de le faire remonter doucement, ris un peu, lui souris beaucoup, ne meurs pas, Fred, je tente un peu d'humour, il sourit un peu plus, et je le sens triste malgré tout, parce qu'on ne peut pas en cinq minutes effacer plusieurs mois.
Parce que lorsque je lui ai demandé si ça faisait longtemps, il m'a répondu 'oui', et j'ai pensé que ça faisait peut-être depuis l'année dernière.
Ma station qui arrive, j'ai envie de l'embrasser à nouveau sur la joue, dans ce creux de la pommette qui a l'air fait spécialement pour recueillir les baisers, comme un traducteur de mots en gestes, j'ai envie mais je n'ose pas. J'en ai envie, sans le désirer jusqu'au bout, j'ai juste envie de lui faire du bien, doucement, comme un dernier apaisement, pour ne pas le laisser seul. Alors je mets tout dans le regard, je mets tout dans mes yeux, chut. Je lui souris, j'y mets tout le courage possible pour lui, et "à jeudi...". Trois petits points de suspension jusqu'à la prochaine fois, on le sait, comme chaque semaine.
C'est si fragile, si peu facile.
Tout en silences qui aimeraient tout dire, en mots qui ne parviennent pas à en exprimer le quart.
C'est si étrange, ces trois mots, ce 'je t'aime', pour exprimer ce sentiment, qui, malgré son universalité, est si personnel, si intime. Quelque chose qui n'est rien qu'à soi, qu'on ne ressent que soi à sa propre manière ; et seulement ces trois mots pour le dire, même s'il y en a plein d'autres. Ces formules banales, qui sont soudain investies de tout l'affect possible, à ce moment-là. Si fortes. Si fort.
Ces mots de Noir Désir qui me hantent soudain.
La caresse et la mitraille
Cette plaie qui nous tiraille
Le palais des autres jours
D'hier et de demain
Le vent les portera
Inspirations soudaines :
Re:
C'est toujours terrible lorsque les correspondances sont ratées, que l'un a pris un train, et pas l'autre...
Je crois que le pire est d'être dans la situation de (si je peux utiliser ce terme un peu "Lego") de l"'aimant-non-aimé". Parce que non seulement il est gêné comme "l'aimé-non-aimant", mais en plus, il a le coeur broyé. Et je parle en connaissance de cause, parce que j'ai connu ça, et c'est assez douloureux comme situation (même si mine de rien, après, on s'en rétablit bien plus vite que l'on ne le pense)
"en un sens je pense que tu étais la personne la mieux destinée à recevoir ce genre de révélation" : Wah, ça c'est gentil! C'est vrai que j'ai tant de mal à faire de la peine aux gens... Et pourtant, je me connais, je peux être froide comme un glaçon avec quelqu'un qui m'insupportera! (heureusement, je ne suis pas Mère Thérésa!) Mais là, dans ce genre de situation... tellement affreux.
Il est joli, ton deuxième paragraphe, et très vrai. C'est vrai qu'à cet instant, c'est comme si le coeur allait mourir tout de suite. C'est étrange, comme les sentiments sont à ce point liés au corps ; tu te rends compte, ces sentiments que tu crées dans ta tête, tu les sens battre dans ton coeur, vibrer dans a poitrine, circuler avec ton sang, trembler avec toi tout entier, c'est tellement curieux, fascinant, et beau, cette association.
Bon, j'arrête ici mon élan lyrique réflexion, sinon j'en ai encore pour deux heures...
il aeu bien du courage ce jeune homme, il a du mérite. et je pense également que tu mérites des mots pareils, même si je ne te connais pas personnellement.
Re:
En tout cas, merci pour ta dernière phrase... :)
Je n'ai dit "je t'aime" qu'à une seule personne. Je lui avais soufflé : "je crois que je suis en train de tomber amoureuse", exactement. Cette personne m'avait serré dans ses bras, ça ne lui avait pas vraiment plu que je lui avoue cela, elle était mal à l'aise et touchée à la fois, mais elle n'avait rien dit, à l'époque, et m'avait laissé partir. Puis c'est devenu Ex, que tu visualises peut etre si tu te rappelles de mon Joueb. Bref, ma plus longue relation pour le moment. On peut dire que je ne m'étais pas trompée.
De temps en temps, on croit qu'on ne ressent pas plus que ça, et petit à petit, l'amour excessif de l'autre fait que l'on est submergé...des fois, on tangue...
Re:
Oui, parfois, l'amour de l'autre nous fait tanguer, au point qu'on ne sait plus trop ce qu'il faut répondre, s'il faut revenir sur le refus que l'on a donné à l'autre ou pas... Mais avec Fred, en l'occurence, je ne pense pas que cela se passe comme ça.
Moi aussi, je n'ai dit "je t'aime" qu'à une personne. En encore, c'était un rêve, un fantasme, quelque chose de très passionnel que je n'a jamais pu qu'à peine effleurer... C'est peut-être triste à dire, mais je n'ai jamais été vraiment, vraiment amoureuse, de ceux avec qui j'ai été. C'est pourtant pas faute de l'avoir espéré. Et puis, lorsque la tendresse est très forte, comme par exemple avec Raphaël, il faut laisser du temps au temps, on n'ose pas vraiment parfois, et ce temps n'arrive pas toujours.
C'est étrange cet "aveu" qui tombe du ciel, caché derrière des montagnes de honte !
Tu écris comme avec des petites ailes !
Re:
Oui, juste deux mots, juste quelques sons, qui prennent une signification si forte, si dense! Ca me donne souvent à rélféchir sur l'impact des mots, sur la force de ces petites choses qu'on assemble et qui ont parfois un pouvoir bien plus grand que les gestes...
manzin
Seulement peut être savait il qu'avec toi il aurait quand même droit à du réconfort. Car après tout l'amour c'est aussi un besoin de réconfort. L'amour c'est le manque de tendresse d'une personne précise. Alors il savait qu'en t'avouant ça il aurait quand même un peu de ce qu'il voulait.
C'est clair que dans cette situation tu as envie d'être la et d'être à mille kilomètres en même temps. Tu veux prendre l'autre dans tes bras mais aussi courir de toutes tes forces le plus loin possible, le plus vite possible. Comme si courir allait artificiellement éroder les sentiments, comme le vent couche les montagnes, comme la mer mange le continent. L'amour mange le coeur et la raison mais jamais ne les érodes.
Dans ce genre de situation il n'y a pas de position avantageuse. Tu ne peux pas te dire que c'est plus facile pour toi que pour lui. Quand on te dis qu'on t'aime ça inclu forcément une rémise en question, et surtout de la culpabilité.
Les sentiments sont vraiment des choses étranges tu ne trouves pas?