Il est tôt. Très tôt. Allez-y, moquez-vous, oui, il est 09h17, haha... Mais quand on a fait sa valise jusqu'à 1h du matin, on a un peu de pitié. Parce que j'ai du la refaire trois fois.
La première, parce que mon père m'a dit "Maistasvucommenttavalisestfaitecestnimportequoiattendslaissemoifairejesuisleroidelavalise". Mouais.La deuxième, parce que je me suis aperçue que des fourmis sortaient de ladite valise. Oui, le dernier utilisateur en date y avait gentiment laissé un paquet de chewing-gum, qui avait fait la joie de ces petits êtres charmants. Inutile de décrire la serénité qui s'est emparée de moi à la vue d'une colonne paniquée qui tentait de s'extirper de dessous ma trousse de toilette. Ô joie.
Et la troisième, parce que j'avais oublié de mettre au fond mes partitions (j'ai essayé de les faire tenir sur le dessus de mes piles de vêtements)(oui, je suis une fille, j'emporte des vêtements)(un peu trop), ça marche pas).
Merveilleux.
Voilà, c'est malin, j'avais débuté cet article il y a 35 minutes, et j'ai du l'abandonner il y a 33 minutes, pour aller repasser quelques trucs ; il est 09h51, je ne plus dire qu'il est tôt, et pourtant je suis toujours aussi peu en forme, j'ai l'air malin.
Dans 8 heures je serai là-bas. Ce là-bas que j'attendais toute l'année, petite. Ce là-bas tellement formidable qu'on regardait les photos pendant des heures, avec Kami, qu'on se repassait les privet joke, qu'on riait toutes seules en se rappelant tel ou tel instant.
Dans 8 heures je laisserai tomber mon gros sac sur le quai de la gare, j'inspirerai un grand coup, et je me dirai : "Ca y est. J'y suis."
Je me rappelerai tout, encore mieux que maintenant.
Les petits déjeuners pas réveillés, les oranges pressées et les fruits qu'on fourre dans les poches pour le petit coup de barre de 11h.
Les concerts si intenses, où toute la musique tient au fil d'un regard. Les ensembles de flûte, avec cette composition si belle, l'année dernière, et le consort de Dowland. Aussi, mes doigts sur le clavier, Kami et violon et Cha au violoncelle, Cha dont je parle peu ici, que je ne vois que deux fois par an environ, mais qui va nous manquer énormément cette année. La musique d'Astor Piazolla qui nous lie, un petit parapluie rouge en papier à la boutonnière que je me suis mis pour être dans le ton, on se sourit, allez, je débute l'intro. Et c'est Verano Porteno, le tango dans toute sa splendeur. Ivresse des sens, on se laisse porter, et la glissade finale, qui achève superbement tout ça.
Les discussions interminables le soir, entre stagiaires et profs, entre stagiaires et anims. Le sourire de JS qui pose sa tête sur la mienne lorsque je déchiffre pour faire rire les petits les classiques de Walt Disney, et qui me murmure tout bas les paroles de "Ce rêve bleu". Un frisson dans le ventre à cet instant, je m'en rappelle. Juste des instants, des instants.
La fascination de Kami pour le jeune (et beau, cela va de soi, hum ;) prof de violon ; elle me raconte en souriant qu'elle regarde plus le prof que la partition, durant l'heure de son cours...
Ces moments où la musique me traverse de façon si intense, notamment durant les cours d'ensemble, en flûte. Chacun trace sa voie, dans cette musique contrapuntique, les voix s'entrelacent, s'étreignent. Je ne sais plus qui m'avait dit que les voix faisaient l'amour ensemble. J'avasi trouvé ça très juste. Ou presque. C'est aussi comme une foule mouvante, un grand dialogue, où chacun parle, parfois en même temps, parfois les uns après les autres, on s'affirme, on s'efface, on part, on revient, on mène la danse ou on se laisse conduire.
Et puis le soir, très tard, lorsque les studios sont vides, et que j'allais jouer du piano pour Kami et Cha. Nocturnes de Chopin, à la gravité si belle, la légèreté de Debussy, la virtuosité de Beethoven mêlée à la superbe, tous ces compositeurs pour lesquels, la nuit tombée, j'avais envie de donner le meilleur de moi-même. Quelque chose qui serre la gorge, tant on se sent transporté ailleurs. Ca fait tant de bien, et en même temps, quelque part, cette pointe de je ne sais quoi. Une petite douleur, parce qu'on ne peut rester insensible à la tristesse de certains morceaux.
Le sourire des petits, aussi, pour lesquels on devenait, l'espace de 10 jours, des grandes soeurs adoptives. Selon les âges, le soir avant de se coucher, c'étaient ici des histoires merveilleuses, là des conseils de coiffure, à la demande... Les yeux écarquillés de la petite soeur de Kami et de ses voisines de couloir, toutes regroupées dans la même chambre pour m'écouter narrer les aventures de la princesse Zirtiga, à travers le pays des Songes, et ses efforts pour ramener la couleur dans ce pays qui ne voit plus qu'en noir et blanc. L'anxiété qui se lit sur tous les visages : va-t-elle y parvenir?... Je me rappelle les soupirs de déception, lorsque l'animatrice arrivait dans la chambre en disant "C'est l'heure! Au lit!", et les petites mains qui s'accrochent à mon bras : "Dis, Feu, la princesse, elle va pas mourir? Tu nous raconte la suite demain?", puis l'air satisfait, un peu rêveur, un fois bordées dans leur lit.
Un petit corps tout chaud contre soi qui s'endort, c'est une des sensations les plus incroyables au monde. Un tel apaisement, une sorte de bonheur d'être là, juste là.
Dans les douches, le matin, l'eau d'abord rouge rouille qui sort des robinets, puis brûlante, sur les épaules encore endormies. Et les voix qui s'élèvent : "Qui est-ce qui chante du Vivaldi, par là?" "C'est moi!" "Seb, tu me files ton gel douche??" "Attends, chais de la mouche dans la bouche!"
Je me rappele déjà le champ de coquelicots qu'on a découvert l'année dernière, en ouvrant la fenêtre de la salle des douches. Emerveillement : quoi, on ne l'avait jamais vu? Et puis, surtout, il est à deux mètres en-dessous de nous, avec une petite corniche pratiquable... Kami, Cha et moi nous regardons, une même interrogation dans le regard. Et hop, me voici enjambant le rebord de la fenêtre, et deux minutes après, on s'allonge dans le champ, complètement euphoriques. Tiens, ça, c'était un rêve d'enfance. Comme dans les films, m'affaler dans un champ de coquelicots, complètement enfouie sous les fleurs.
Les cours d'impro avec JY, ce prof avec tant d'allure. Ses mains charpentées et fines à la fois, et cette aura si particulière qui l'entoure. Un sage de la musique.
Voilà, c'est ça, là-bas, c'est un morceau de rêve. Qui se concrétise de plus en plus chaque année. Parce que je sais qu'il est là. Et qu'il me suffit de ces 10 jours pour m'évader. Même si ça n'est pas loin. Même si c'est court. Même si.
Même si en partant, les larmes s'accrochent au bout des cils, on se serre fort dans les bras, à l'année prochaine, à l'année prochaine.
Oh, fin de l'interlude, je dois encore filer à mes bagages. Ca ne finira donc jamais?...
Sevediamo tutto il mondo, à dans dix jours!
(on remarquera qu'il est 11:45 et quelques, oui, j'ai fait 1000000 trucs entre chaque ligne... ;)
Inspirations soudaines :
Cocktail
Juste quelques mots pour te dire de bien profiter de ces 10 jours qui s'offrent à toi. Mais bon, vu ton article, je suppose que c'est ce que tu as l'intention de faire. :)
Et aussi, je suis comme toi. Je fais très rarement des articles d'un coup tout entier. Toujours d'autres choses à faire au milieu. Parfois même, ça s'étale sur plusieurs jours...
Aller. A dans... Je ne sais pas quand, en fait. Puisque lorsque tu reviendras, je serais déjà partie, et pour longtemps...
;)